Au fil des mots

Au fil des mots

Rien ne s'oppose à la nuit

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Delphine de Vigan

 

Editeur : JC Lattès

Année d’édition : 2011

 

Synopsis :


 

« La douleur de Lucile, ma mère, a fait partie de notre enfance et plus tard de notre vie d’adulte, la douleur de Lucile sans doute nous constitue, ma sœur et moi, mais toute tentative d’explication est vouée à l’échec. L’écriture n’y peut rien, tout au plus me permet-elle de poser les questions et d’interroger la mémoire. La famille de Lucile, la nôtre par conséquent, a suscité tout au long de son histoire de nombreux hypothèses et commentaires. Les gens que j’ai croisés au cours de mes recherches parlent de fascination ; je l’ai souvent entendu dire dans mon enfance. Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. Le livre, peut-être, ne serait rien d’autre que ça, le récit de cette quête, contiendrait en lui-même sa propre genèse, ses errances narratives, ses tentatives inachevées. Mais il serait cet élan, de moi vers elle, hésitant et inabouti. » Dans cette enquête éblouissante au cœur de la mémoire familiale, où les souvenirs les plus lumineux côtoient les secrets les plus enfouis, ce sont toutes nos vies, nos failles et nos propres blessures que Delphine de Vigan déroule avec force.

 

 

Mon avis :

 

En 2008, Lucile, la mère de Delphine de Vigan s'est suicidée à l'âge de soixante et un an.

Lorsque le besoin d'écrire sur sa mère s'est fait sentir, Delhine de Vigan, était sûr d'une chose, elle ne voulait pas se contenter uniquement de ce qu'elle en connaissait, de ce qu'elle en pensait. Elle voulait que l'histoire de Lucile, soit complète. Certainement pour enfin comprendre d'où lui venait cette Bipolarité, qui l'a handicapé une partie de sa vie, et qui a fini par avoir raison d'elle.

En même temps, l'auteure à conscience de se lancer dans "un sujet casse-gueule" : "je perçois chaque jour qui passe combien il m'est difficile d'écrire ma mère, de la cerner par les mots, combien sa voix me manque. Lucile nous a très peu parlées de son enfance. Elle ne racontait pas. Aujourd'hui, je me dis que c'était sa manière d'échapper à la mythologie, de refuser la part de fabulation et de reconstruction narrative qu'abritent toutes les familles. "

Surtout qu'elle ne veut ni romancer, ni fausser les témoignages.

 

On le sait, il suffit que chacun regarde à l'intérieur de sa propre famille, pour se rendre compte que toute vérité, n'est pas bonne à dire, cependant, il lui était nécessaire afin de réaliser son projet, de recueillir un maximum de renseignements, dès lors, s'engageait un travail long et laborieux.

Convaincre les plus réticents, dans un premier temps, (qui n'appréciaient pas de voir déballé ainsi sur la place publique, leurs histoires de famille.)

Puis dans un second temps, tout reprendre, tout classer, si dix personnes vivent un même évènement, chacune aura un aperçu différent, je vous laisse imaginer la tonne de boulot que cela représente. " Car c'est exactement ça : je voudrais rendre compte du tumulte, mais aussi de la douceur. "

 

C'est donc par le commencement que commencera Delphine de Vigan, par l'enfance de Lucile : "Lucile née en 1946 était la troisième enfant d'une fratrie de neuf enfants". On y découvre une famille nombreuse, qui semble heureuse en apparence. Seulement en apparence, de cette première partie, trois passages m'ont le plus marquée, l'accident de ses frères dans le puits, dont l'un y laissera la vie ; l'adoption d'un petit garçon maltraité "en échange" de l'enfant perdu, (et qui finira lui aussi par se suicider). Et le vol des carottes des bureaux de tabac, j'ai eu la vision fugace, de la guerre des boutons, et je dois dire qu'il m'arrive encore de penser à cette scène en passant devant ceux de ma ville.

 

Dans la seconde partie, c'est une Lucille adulte que l'on découvre. Une femme fragile atteinte de bipolarité (folie, à tendance suicidaire), là sans jugement aucun, ce qui m'a frappée c'est la conduite de Lucile, surtout je dois bien le reconnaître à cause de sa maladie. Le suicide d'un de ses frères, les horreurs sur son enfance, sans doute à l'origine de la folie qui la frappe.

 

Quant à la dernière partie, Lucile tel un Phénix renait de ses cendres, le fait d'être grand-mère semble avoir un effet bénéfique, elle se donne les moyens de sortir la tête de l'eau, et d'être heureuse, au moins jusqu'à ce que sa maladie, la rattrape, et jusqu'à ce jour, où elle met fin à ces jours.

 

Avec des paragraphes plus ou moins longs, plus ou moins courts, Delphine de Vigan, installe un rythme à son récit, tout en restant fidèle à l'histoire de sa mère sans tomber dans le mélo, comme pour reprendre son souffle, elle fait de brève parenthèse afin de nous expliquer, comment, et où, elle en est avec l'écriture de ce témoignage.

 

 

En Conclusion :

Avec une plume délicate et gracieuse Delphine de Vigan sait nous émouvoir et nous toucher. Tout en parlant de sujet fort que sont le suicide, la mort, l'inceste, et bien sûr, la folie. Rendant ainsi un sublime hommage à sa mère dans ce merveilleux témoignage. "J'ignore comment ces choses (l'inceste, les enfants morts, le suicide, la folie) se transmettent. Le fait est qu'elles traversent les familles de part en part, comme d'impitoyables malédictions, laissent des empreintes qui résistent au temps et au déni"

Morceaux choisis :

 

Je ne sais plus quand est venue l’idée d’écrire sur ma mère, autour d’elle, ou à partir d’elle, je sais combien j’ai refusé cette idée, je l’ai tenue à distance, le plus longtemps possible, dressant la liste des innombrables auteurs qui avaient écrit sur la leur, des plus anciens au plus récents, histoire de me prouver combien le terrain était miné et le sujet galvaudé, j’ai chassé  les phrases qui me venaient au petit matin ou au détour d’un souvenir, autant de débuts de romans sous toutes les formes possibles dont je ne voulais pas entendre le premier mot, j’ai établi la liste des obstacles qui ne manqueraient pas de se présenter à moi et des risques non mesurables que j’encourais à entreprendre un tel chantier.

 

Avais-je besoin d'écrire ça? Ce à quoi, sans hésitation, j'ai répondu que non. J'avais besoin d'écrire et ne pouvais rien écrire d'autre, rien d'autre que ça. La nuance était de taille.

 

 

La mémoire enregistre tout, et le tri s'effectue après coup, une fois la crise passée

 

Les mots étaient là, qu'est-ce qu'elle a fait, mais je ne pouvais pas comprendre leur sens, je ne voulais pas, c'était non, c'était hors de question, c'était impossible, c'était inenvisageable, ce n'était pas vrai, ce n'était pas la réalité, ce n'était pas ce que j'étais en train de vivre, ça ne pouvait pas finir comme ça.

 

En un mot : gros coup de coeur.jpg petit coup de coeur



02/09/2013
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